Tribune | Réagir pour transformer : la logistique marocaine à l’heure des choix !
- Chrysaliz
- 28 mai
- 4 min de lecture
Par Pascale Sédès de Pellegars, Présidente d’Atlas Transition
L’article « Logistique : Un nouveau paradigme pour une meilleure compétitivité », publié en mai 2025 dans Le Matin, offre un diagnostic lucide des ambitions logistiques du Maroc. En tant que présidente d’Atlas Transition, cabinet de management de transition spécialisé dans les transformations sur le continent africain, je tiens à saluer cette prise de position claire, qui replace la logistique au cœur des priorités économiques nationales. Mais au-delà du constat, c’est sur la capacité du Maroc à concrétiser cette vision que nous devons, dès aujourd’hui, porter notre attention.
Un potentiel considérable, freiné par des blocages persistants
Le Maroc possède des atouts incontestables : une position géostratégique exceptionnelle, des infrastructures de rang mondial (à l’image de Tanger Med), et une volonté politique affirmée. Toutefois, cette dynamique reste freinée par des verrous structurels profonds que l’article du Matin met justement en lumière. Chez Atlas Transition, nous intervenons sur ces problématiques au quotidien.
Nos missions en Afrique du Nord, de l’Ouest et australe nous permettent de constater que les défis marocains ne sont pas isolés. ls touchent la majorité des économies en phase d’industrialisation logistique : fragmentation du tissu de transporteurs, blocages fonciers, déficit de compétences, dépendance technologique, et coordination institutionnelle insuffisante.
Cinq leviers prioritaires pour un virage logistique réussi
À partir de notre expérience de terrain, nous avons identifié cinq axes de transformation qui, s’ils sont bien pilotés, peuvent redéfinir la trajectoire logistique du pays :
Déverrouiller le foncier stratégique
L’exemple du Souss-Massa est emblématique : les terres collectives représentent 20 % du territoire national, et pèsent près de 1 180 milliards de dirhams. Leur mobilisation suppose non seulement un cadre légal clair (tel que la loi 113-13 sur les terres soulaliyates), mais aussi un dialogue renforcé avec les communautés locales. Atlas Transition privilégie ici une approche partenariale, co-construite avec les parties prenantes.
Structurer les transporteurs autour de coopératives compétitives
La prédominance d’acteurs très fragmentés (moins de cinq camions dans la plupart des entreprises) freine la montée en puissance du secteur. En Afrique du Sud, par exemple, AGCO a réduit de 15 % ses coûts logistiques en 18 mois grâce à un système de gestion de transport (TMS) et un partenariat 3PL. Le Maroc pourrait suivre une voie similaire, en soutenant la création de coopératives logistiques via des incitations fiscales (exonération d’IS pendant cinq ans) et des subventions ciblées.
Former une nouvelle génération de professionnels de la logistique
La transition logistique ne se fera pas sans une montée en compétence accélérée. L’ISEM fait un travail important, mais ses capacités de formation restent limitées face aux besoins croissants, notamment dans la gestion portuaire et la data science. Le programme PME-LOGIS est un bon point de départ, mais il mérite d’être élargi et pérennisé.
Digitaliser les PME logistiques, levier d’autonomisation
Trop de PME restent à l’écart des innovations technologiques. Pourtant, les outils numériques (WMS, TMS, IoT) sont essentiels pour optimiser les flux, améliorer la traçabilité, et renforcer la compétitivité. Grâce à des partenariats avec des fintechs et startups locales, Atlas Transition accompagne déjà plusieurs PME marocaines via des financements hybrides : prêts à taux préférentiels, subventions CGEM, et accompagnement opérationnel.
Reprendre la main sur la souveraineté maritime
L’ambition d’une flotte nationale de 100 navires d’ici 2040 est légitime. Elle suppose des investissements massifs, mais aussi une vision industrielle claire. Le chantier naval de Casablanca (4,5 milliards de dirhams) est un projet structurant. Il devra s’accompagner de formations spécialisées (ISEM, Naval Group) et de mécanismes de gouvernance transparents pour maximiser son impact.
Une dynamique prometteuse, mais inégale : état des lieux
Afin d’objectiver la situation, je propose ci-dessous un tableau récapitulatif qui croise les avancées réelles du Maroc avec les défis encore à relever :
Aspect | Avancées | Défis |
Zones logistiques | 600 hectares aménagés en 2016 ; objectif de 33 000 ha d’ici 2030 ; SEZs comme Midparc | Blocages fonciers persistants, notamment à Souss-Massa (Lavieeco) |
Investissements | 110 milliards de dirhams mobilisés d’ici 2035 ; 7,5 milliards USD pour les ports | Forte dépendance aux opérateurs internationaux (Trade.gov) |
Durabilité | Réduction énergétique ciblée (-24 %) ; projets pilotes (Soft Logistics) ; normes ISO 14001 | Transition écologique à généraliser (AMDL) |
Connectivité | Tanger Med : 9 millions de conteneurs en 2024 ; plateformes logistiques en développement | Coordination interinstitutionnelle à renforcer (Morocco World News) |
Formation | PME-LOGIS : 100 PME digitalisées ; ISEM : 200 diplômés/an | Pénurie de profils qualifiés, notamment en supply chain avancée (AMDL) |
Le rôle central de la gouvernance et de la coordination
La récente réforme de l’AMDL, annoncée en avril 2025, est un pas important vers une meilleure gouvernance. Elle doit permettre d’aligner la stratégie nationale avec les réalités opérationnelles, en clarifiant les responsabilités et en renforçant la fluidité entre administrations, collectivités et opérateurs privés.
Un impératif de durabilité et de résilience
Nous ne pouvons plus penser logistique sans intégrer la durabilité. La stratégie nationale d’efficacité énergétique vise une baisse de 24 % des consommations d’ici 2030. Cette ambition doit s’appuyer sur des outils intelligents (iot, optimisation des flux), mais aussi sur un soutien clair aux entreprises qui s’engagent dans la logistique verte. Le Maroc a une opportunité unique de positionner ses plateformes comme des hubs durables, certifiés aux standards internationaux.
Face à la concurrence régionale : ne pas perdre le tempo
La concurrence s’intensifie sur le continent. Djibouti, avec 1,5 milliard de dollars investis dans ses ports, et la Côte d’Ivoire, qui modernise Abidjan à hauteur de 800 millions de dollars, avancent vite. Le Maroc doit accélérer. Cela passe par des choix clairs, des calendriers tenus, et une évaluation permanente de l’impact de chaque projet.
Conclusion : oser l’agilité, assumer le leadership
L’article du Matin a le mérite de poser le débat. Mais à la lumière de notre expérience, je suis convaincue que seule une approche agile et structurée – celle que permet en autres le management de transition – peut transformer l’essai.
Le Maroc n’a pas besoin de repenser toute sa stratégie : il doit exécuter, piloter, ajuster. Cela passe par des outils, des experts, une gouvernance de projet robuste.
Chez Atlas Transition, nous croyons en un modèle de transformation qui combine vision locale, savoir-faire continental et adaptation pragmatique. C’est ainsi que le pays pourra devenir, non seulement un hub logistique régional, mais un référent africain en matière de compétitivité, de souveraineté et de résilience logistique.
Comments